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La guerre de Trump contre les mesures signifie la perte de données sur la consommation de drogue, la mortalité maternelle, le changement climatique et plus encore



En réduisant drastiquement les équipes chargées de collecter des données cruciales, l’administration a privé le gouvernement fédéral de tout moyen de savoir si ses politiques fonctionnent — créant un vide d’information dont les conséquences pourraient se faire sentir pendant des décennies.


Plus d’enfants âgés de 1 à 4 ans meurent de noyade que de toute autre cause. Près d’un quart des adultes ont reçu un traitement en santé mentale en 2023, soit une augmentation de 3,4 millions par rapport à l’année précédente. Le nombre de migrants venus du Mexique et d’Amérique centrale stoppés par la police des frontières américaine a été dépassé en 2022 par celui des migrants originaires d’autres pays.


Nous savons tout cela grâce à la collecte, l’organisation et la diffusion des données par le gouvernement fédéral. Chaque année, inlassablement, des employés d’agences que la plupart des gens ne connaissent pas accumulent les statistiques qui fondent les décisions prises à tous les niveaux de l’État, et qui orientent les choix des chefs d’entreprise, des responsables d’établissements scolaires et des professionnels de santé à travers tout le pays.


La survie de ces données est aujourd’hui menacée, à cause d’une offensive généralisée du Département de l’Efficacité Gouvernementale (DOGE) contre la bureaucratie fédérale.


Les réactions se sont, à juste titre, concentrées sur les centaines de milliers de fonctionnaires qui ont perdu leur emploi ou sont sur le point de le faire, ainsi que sur les millions de personnes susceptibles de souffrir de la fermeture des programmes d’aide. Mais ce que l’on néglige souvent dans ce chaos, c’est que beaucoup de ces coupes budgétaires ciblent un aspect très précis du gouvernement fédéral : sa capacité à collecter et partager les données. Agence après agence, le gouvernement perd sa capacité à mesurer le fonctionnement de la société américaine, rendant bien plus difficile pour les responsables politiques ou autres d’évaluer la nature et l’ampleur des problèmes ou l’efficacité des solutions mises en œuvre.


L’ampleur des efforts de collecte de données supprimés ou menacés est stupéfiante. Dans certains cas, les ensembles de données passés sont désormais orphelins, leurs responsables ayant été licenciés, leur avenir incertain ; dans d’autres, les données ont disparu, sans garantie de réapparition. En voici quelques exemples :

  • Le Département de la Santé et des Services sociaux (HHS), dirigé par Robert F. Kennedy Jr., a licencié l’équipe de 17 personnes responsable de l’Enquête nationale sur la consommation de drogues et la santé, qui suivait depuis plus de 50 ans les tendances en matière de toxicomanie et de troubles mentaux.

  • L’Administration pour les enfants et les familles est en retard de plusieurs semaines dans la mise à jour annuelle du système d’analyse et de rapports sur l’adoption et le placement familial, à cause de licenciements massifs.

  • L’équipe qui gérait le Système de surveillance des risques pendant la grossesse (PRAMS), outil essentiel pour comprendre la forte mortalité maternelle aux États-Unis, a été mise en congé forcé.

  • Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) ont démantelé les divisions gérant la base WISQARS sur les décès accidentels et les blessures (accidents de voiture, empoisonnements, fusillades...), ainsi que l’équipe en charge d’AtlasPlus, outil interactif pour suivre le VIH et d’autres IST.

  • L’Agence de protection de l’environnement (EPA) prévoit de ne plus obliger les industries à mesurer et signaler leurs émissions de gaz à effet de serre, comme c’était le cas depuis 2010. L’EPA a aussi supprimé EJScreen, outil cartographique permettant de visualiser la pollution industrielle locale.

  • L’Office des statistiques de la sécurité intérieure n’a pas mis à jour ses données mensuelles sur les expulsions et les politiques migratoires depuis novembre 2024. D’après son directeur Jim Scheye, les fichiers sont en attente de validation par la nouvelle administration.

  • À la Météo nationale, des coupes sévères ont réduit le lâcher de ballons météo, qui recueillent des données cruciales à chaque seconde sur la température, l’humidité, la pression... et permettent d’affiner les prévisions.


Une motivation apparente de cette “guerre contre la mesure” : rendre plus difficile l’évaluation de l’impact des licenciements, des dérégulations ou d'autres politiques menées par l’administration Trump. Certaines données abandonnées s’appuyaient aussi sur des notions rejetées par l’administration, comme la justice environnementale (EJScreen), que l’EPA considère désormais comme liée à des programmes “radicaux” à supprimer, selon un porte-parole. Celui-ci précise que l’agence continue de “protéger la santé humaine et l’environnement”.


Laura Lindberg, professeure de santé publique à Rutgers, a exprimé son inquiétude concernant les données sur les risques liés à la grossesse lors d’un congrès à Washington. Elle a comparé cela au retrait de la Floride, en 2022, du sondage fédéral sur le comportement des jeunes face aux risques, après une loi interdisant de parler d’orientation sexuelle à l’école. Selon elle, “refuser de collecter les données sur les effets des politiques revient à enfouir la tête dans le sable — ce n’est pas comme ça qu’on protège la santé du pays”.


Le paradoxe : certaines des données supprimées soutiennent pourtant les propres revendications de l’administration Trump. Par exemple, les données sur la crise du fentanyl, utilisées pour justifier une répression migratoire, proviennent de l’enquête sur la consommation de drogues désormais abandonnée. Idem pour les recherches sur l’impact des smartphones sur la santé mentale des jeunes, pourtant brandies par les conservateurs contre les grandes plateformes numériques.


En éducation, Trump a critiqué les États démocrates pour avoir gardé les écoles fermées trop longtemps pendant la pandémie. Il s’appuyait sur des données de l’Évaluation nationale des progrès éducatifs (NAEP) montrant une chute des résultats. Or, cette même enquête pourrait être réduite drastiquement, car le Centre national des statistiques de l’éducation (NCES) a vu ses effectifs passer de près de 100 à... 3 personnes. L’avenir de la NAEP et d’autres études longitudinales est désormais incertain.

Shelly Burns, statisticienne ayant travaillé 35 ans au NCES avant d’être licenciée en mars, souligne l’ironie : “Comment le pays sait-il que les résultats scolaires ont chuté ? Grâce à nous. Parce qu’on l’a mesuré. Et on ne l’a pas maquillé pour plaire à un président.”


Comme le disait Stephen Colbert : “La réalité a un biais bien connu en faveur des libéraux”. Une boutade reprise par certains comme une vérité politique. En réalité, les données contredisent parfois les idées de gauche, parfois celles de droite.

Il est à noter que le plan stratégique Project 2025 de l’administration Trump ne mentionne pas explicitement l’arrêt de la collecte de données. Au contraire, il encourage dans certains domaines une collecte renforcée, notamment en immigration. Mais dans les faits, les efforts pour empêcher toute évaluation indépendante du pays laissent penser que le gouvernement doute lui-même de l’efficacité de sa refonte nationale.


À mesure que les ensembles de données disparaissent, les décideurs perdent leur capacité à agir en s’appuyant sur des faits — et le public perd son moyen de les tenir responsables.


Même si une future administration tente de relancer ces efforts, la pause de 2025 à 2029 compliquera fortement l’analyse des tendances.


Qui sait si le pays pourra un jour reconstruire cette capacité de mesure. Pour l’instant, la perte est incalculable.


 
 
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